Être psychoéducatrice, c’est d’abord aimer les êtres humains. C’est croire en leur capacité de changement, d’adaptation, d’empowerment.
C’est accepter que ce ne sont pas toutes les personnes auprès de qui nous travaillons qui nous apprécierons et ce, pour une foule de raisons; parce que finalement, ils ne sont pas prêts à entamer un processus de changement, parce qu’on les amène à contempler de vieilles blessures qui interfèrent avec leur présent, parce qu’on leur fait regarder une peur en plein visage, parce qu’on les remet en question, parce qu’on les confronte parfois. Parce qu’on leur enlève l’illusion qu’on ne peut réparer leur enfant; qu’il y a un effritement dans le fonctionnement familial qui les implique et qu’ils doivent faire le travail. On leur apprend qu’on ne fera rien POUR eux. On le fera AVEC eux.
Être psychoéducatrice, c’est d’accepter d’être la personne qui responsabilise face à une situation douloureuse. C’est d’être la porte-parole qui clame que rien n’est tout noir ni tout blanc. C’est de ne pas prendre parti. C’est de nuancer. C’est de dire aux personnes que l’on voit qu’elles ne sont pas des victimes; qu’elles ont leur part de responsabilité et qu’elles doivent la prendre, cette responsabilité. Et que le fait de subir est un choix; tout comme l’est le fait de se relever et de combattre.
Être psychoéducatrice, c’est de tellement aimer les êtres humains qu’on accepte et qu’on prend en pleine gueule leur colère, leur désespoir, leur déception, leur désarroi, leur incompréhension.
Je ne sais pas si on devient psychoéducatrice; je crois qu’on l’est, un point c’est tout. La formation universitaire permet de se mettre à jour dans les connaissances scientifiques, dans la compréhension des troubles de santé mentale, des problématiques rencontrées dans nos milieux de travail, de connaitre les techniques d’intervention éprouvées et approuvées (rarement par tous), de savoir les appliquer. Cette formation de 5 ans à temps complet permet d’apprendre à se connaitre davantage, d’identifier ses forces, de travailler sur ses limites, de les accepter parfois, de les repousser à d’autres moments. Alors oui, on intègre le savoir, on développe le savoir-faire et on optimise le savoir-être. Mais on était à la base des fervents croyants en l’être humain; c’est ce qui a poussé, voire forcé notre choix de carrière vers l’autre, vers la relation à l’autre.
Les psychoéducateurs, tout comme les travailleurs sociaux, les psychologues, les éducateurs spécialisés, sont les spécialistes qui sont le plus à risque d’épuisement professionnel. Ou de burn-out. Pourquoi? Parce que c’est brûlant, justement, d’être en relation avec les autres. De regarder avec eux leurs bibittes, qui nous ramènent par le fait même aux nôtres. Parce que c’est brûlant de se donner, littéralement, tous les jours de la semaine. Parce que c’est brûlant d’être soi de manière si vive, de se placer en contexte relationnel, de créer des liens, de braver le doute, de côtoyé la détresse humaine. Parce que c’est brûlant de parfois vouloir plus que la personne elle-même.
Parce que c’est brûlant de braver les préjugés, positifs comme négatifs face à notre profession. Parce que ça ne tente à personne de faire un signalement à la DPJ. Parce que ceci signifie que la sécurité et/ou le bien-être d’un enfant est compromis. Jamais on ne souhaite cela. Parce qu’on le sait que les parents de ces enfants ne veulent pas carrément le mal-être de leur enfant; ils sont maladroits, mal outillés, mal informés, ont été mal aimés. Parce que c’est brûlant de devoir justifier à tout un chacun qu’il y a du bon en chaque être humain. Et que les parents de la DPJ n’y échappent pas.
Parce que ça signifie aussi que les gens croient à tort que nous, psychoéducateurs, sommes parfaits. Ou du moins, devons l’être. « Cordonnier mal chaussé », dira-t-on. Il y a une sacrée différence entre réparer une semelle et faire comprendre qu’on ne peut réparer une âme. Et que la psychoéducation est un métier de confrontation, de remises en questions, de prises de recul, de remises en perspectives. Et ça fait mal, les remises en question. Mais dans notre métier, elles sont nécessaires. Parce que nous sommes notre propre outil de travail. Autant le polir et l’affiler le plus possible.
Être psychoéducatrice, c’est être constamment confrontée aux valeurs divergentes des parents auprès de qui on travaille, des profs, des professionnels aussi. C’est de se battre pour ses idées mais de savoir quand lâcher-prise.
Être psychoéducatrice, c’est aussi créer des liens avec des individus profondément motivés par le changement. C’est de recevoir en pleine gueule la reconnaissance des familles. C’est d’accueillir les confidences et ainsi, la confiance et la vulnérabilité des gens. C’est d’avoir de merveilleuses conversations de cadre de porte en finissant une rencontre à domicile avec une famille. C’est de donner de soi et de recevoir.
Être psychoéducatrice, c’est aussi voir arriver un groupe de filles de 6e année à la café sur l’heure du midi, simplement pour te dire : « Merci de nous avoir aidées l’an passé ». Comme ça. Entre le service du riz et du poulet.
Être psychoéducatrice, c’est rencontrer des professionnels aussi passionnés que soi avec qui on a des discussions sur l’être humain, sur les relations humaines, sur l’humain que nous sommes, que nous devenons.
Être psychoéducatrice, c’est rencontrer des parents sensibilisés au bien-être de leurs enfants dans le cadre de formation. C’est de les voir s’ouvrir devant un groupe de parents qui, comme eux, ne sont sûrs de rien. Comme tout le monde, au fond.
Être psychoéducatrice, c’est savoir s’arrêter. C’est savoir quand le travail prend fin et quand la vie personnelle prend la relève. Ça, c’est un gros apprentissage à faire.
Être psychoéducatrice, c’est tout ça à la fois.
-Stéphanie Deslauriers