Déjà il y a trois ans, j’harcelais presque le directeur de l’école où j’étais pour faire de la sensibilisation et de l’éducation en lien avec l’intimidation. Parce que déjà au primaire, les jeunes en sont victimes, en sont témoins et en sont les coupables.
J’allais déjà dans les classes, animer des programmes du type « Vers le Pacifique », « L’agression indirecte » et autres. Ce qui ressortait? Les jeunes ne dénoncent pas parce qu’ils craignent de ne pas être pris au sérieux par les membres du personnel, de se faire traiter de « stool » par les adultes et au bout du compte, que ce soit eux qui soient punis. Ils ont peur de représailles, aussi, de la part de l’agresseur. Et que les agresseurs agressaient surtout sur l’heure du dîner, parce qu’ils savaient que les « p’tites madames qui surveillent » ne feraient rien, ne verraient rien. Ou peut-être qu’elles voient; et peut-être qu’elles ne se sentent pas outillées pour faire face à ce type de situation. Et elles ne sont pas, non plus. Bien souvent, en tout cas.
Et les victimes ne dénoncent pas parce qu’ils ont peur que les adultes de l’école ne le prennent pas au sérieux, qu’ils minimisent ce qu’ils vivent et parce qu’ils ont aussi peur que les agresseurs redoublent d’ardeur, dans l’optique où aucune mesure ne sera prise par les membres de l’équipe-école.
Et malheureusement, je constate qu’ils ont raison. Que probablement que moi aussi, je me fermerais la trappe. Parce que trop d’histoires nous montrent que les adultes ne prennent pas les moyens nécessaires pour prévenir ce genre de situations et intervenir adéquatement quand une situation d’intimidation survient. Ce qui fait en sorte que ça se répète, encore et encore.
Et que les victimes se taisent. Et que les témoins se taisent. Et que les agresseurs continuent : à agresser et à souffrir.
Parce qu’ils souffrent, eux aussi. Ils souffrent d’un besoin d’amour si intense qu’ils croient devoir détruire une tierce personne à petit feu pour sentir qu’ils sont quelqu’un. Ils souffrent peut-être d’agression indirecte (agression verbale, psychologique) à la maison, de la part de leurs parents, de leur frère ou sœur; ils intériorisent peut-être que ce mode relationnel est celui à privilégier, faute d’en avoir d’autres de la part de modèles si significatifs dans la vie d’un enfant.
Et oui, évidemment que les victimes continuent elles aussi à souffrir. À tellement souffrir qu’elles ne voient d’autres moyens que de se tuer pour arriver à tuer leur souffrance.
Ça va en prendre combien de situations comme celle de Marjorie (http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/archives/2011/11/20111129-174952.html)pour qu’on prenne la situation au sérieux? Pour que le gouvernement ait envie d’investir dans des programmes de prévention auprès des adultes, afin qu’ils puissent intervenir adéquatement? Parce que oui, tous les programmes s’adressant aux élèves sont d’une qualité remarquable, mais ça sert à quoi qu’un jeune sache dire « non » et sache qu’il doit aller dénoncer s’il n’y a personne pour l’écouter et pire, pour prendre les moyens nécessaires pour que la situation se résorbe?
Pour que les commissions scolaires comprennent qu’il faut débloquer des fonds pour former adéquatement les membres du personnel, incluant les p’tites madames du dîner, le concierge et les profs? Pour que les directions d’école voient la pertinence que leurs professionnels (travailleurs sociaux, psychoéducateurs, éducateurs spécialisés, psychologues) prennent de leur temps, de leur énergie pour développer et animer ce type de formations?
Ça ne me confirme qu’une chose : on est bon, dans le curatif. On aime ça, voir les effets d’une intervention après coup.
Essayez donc, vous, de ramener quelqu’un à la vie.
-Stéphanie Deslauriers