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Geneviève

Cet article est le quatrième de la série “Inspiration”.

Geneviève est avec un homme qu’elle aime depuis des années.

Ensemble, ils ont eu deux enfants. Une petite surprise qui s’est pointée le bout du nez plus tôt que prévu. Mais qu’ils ont accueilli avec grand bonheur, grand amour, aussi. Puis une deuxième attendue. Tout aussi aimée.

À cette époque, elle est agente de recouvrement. Rapidement, elle réalise qu’elle ne se sent pas accomplie. Le désir de l’être lui pèse de plus en plus. Elle s’inscrit donc à l’Université pour y accomplir un certificat. Avec les enfants, le travail à temps plein, le chum, la vie, elle met six ans à le compléter.

Son diplôme en poche, elle peut enfin accéder au baccalauréat en psychoéducation à l’Université de Montréal. C’est à ce moment que nos destins se croisent sans s’entremêler. Elle a ses amies; j’ai les miennes. Nous échangeons parfois, sans plus.

Je constate rapidement que Geneviève est une femme de cœur, brillante, sensible, sensée. Je réalise assez aisément qu’il s’agit d’une de ces personnes capable d’identifier les qualités des autres sans s’en sentir diminuée. Et capable de leur nommer ces qualités observées, comme ça, juste parce que c’est ainsi.

Puis, on échange un fou rire dans un cours d’évaluation. Le rire permet de rapprocher les gens; les regards qui sont lancés durant l’esclaffement sont empreints de tant d’authenticité qu’il serait impossible qu’ils ne rapprochent pas les gens.Geneviève

Nous partons ensuite toutes deux en quête de notre maîtrise; elle à l’Université de Montréal, moi à celle de Sherbrooke.

C’est à ce moment qu’on commence à échanger davantage, via Facebook. Je commente un de ses messages, elle en fait de même. Nous suivons à distance nos vies. Jusqu’à ce que nous commencions à avoir des conversations en privé, à propos de sujets tous aussi privés.

Elle me raconte son histoire folle d’amour avec Charles, son amour d’enfance qu’elle a revu. Dès qu’elle a été en face de lui, elle a su. Lui aussi.

Elle a quitté le père de ses enfants, s’est trouvé un petit appartement et a reconstruit sa relation avec Charles. Sa famille l’avait accueillie suite au décès de sa mère; Geneviève n’avait que quatre ans, à l’époque.

Quand sa mère est morte, son père a inévitablement dû s’occuper de ses deux enfants. Endeuillé, épuisé, découragé, il était en détresse. En grande détresse. Geneviève a vécu avec cette souffrance, avec les regards et les répliques culpabilisantes de certains membres de sa famille élargie qui pensaient pourtant bien faire.

Quelques années après leurs retrouvailles, après le petit appartement et la consolidation de leur relation, Geneviève et Charles emménagent ensemble avec leurs filles respectives. Puis, ils se marient.

Mais quelque temps avant le mariage, Geneviève doit se faire opérer. Elle a un nodule sur la corde vocale. Durant l’opération, couic. Erreur médicale. On lui a coupé un nerf. Il ne fallait pas. C’est un des nerfs qui gère une de ses cordes vocales.

Malgré qu’elle soit affaiblie par la chirurgie, enflée, la cicatrice au cou, jamais elle ne s’apitoie.

Elle va de l’avant. Elle rencontre une orthophoniste; ses rencontres et exercices ne donnent pas les résultats escomptés. Des périodes de régression suivent les périodes d’amélioration. La fatigue se fait sentir plus rapidement. Elle est désormais dotée d’une voix qui ne se fait pas entendre par-dessus les cris des quatre filles, des deux chiens, des trois chats et du mari.

Puis, le constat : elle ne pourra plus parler 8h d’affilée dans ses familles qu’elle voit au CLSC. Enfin, pas à court terme. Elle ne pourra plus enseigner 3h durant devant une quarantaine d’étudiants universitaires. Un an après avoir terminé sa maîtrise en psychoéducation.

Les remises en question se mettent en branle, tout comme les recherches de solutions alternatives. Puis, bingo : un doctorat. De la recherche. Un rôle-conseil, peut-être. Qui lui permettra de ménager sa voix fragile. Et de faire aller son humanité à qui mieux-mieux. Elle en est là.

Souvent, la vie s’acharne sur elle. Jamais elle ne le fait sentir. Jamais elle ne quémande de la pitié. Toujours elle est heureuse pour ses amies qui continuent d’intervenir, d’enseigner. Même plus : elle veut aider. Comme ça. Juste parce que ça lui fait plaisir.

Eh bien moi, Geneviève, ça me fait plus que plaisir de t’avoir dans ma vie. Et de te dédier ce texte.

Je t’aime mon amie xxx

–  Stéphanie Deslauriers