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Annabelle

Annabelle. Elle a le prénom d’une poupée de porcelaine. La voix, aussi, si les poupées de porcelaine en avait une.

Annabelle a, selon son médecin, un diagnostic de trouble de la personnalité limite, de phobie sociale et de dépression majeure. Ces diagnostics longs comme le bras, long comme son bras mutilé, expliquent certains comportements, certaines façons de penser mais ils ne parviennent pas à la définir entièrement. Annabelle est beaucoup plus que ça.

J’ai fait connaissance avec Annabelle via Twitter. Elle se présente comme ceci : « Femme. 21 ans. Maman monoparentale d’un p’tit homme de 20 mois. Étudiante. Je déteste l’hypocrisie et l’injustice. Voilà! »

Au départ, je voulais la rencontrer pour faire un portrait de famille, pour parler de sa situation de mère monoparentale. Finalement, nous avons parlé de tant d’autres choses. Nous avons parlé du silence. Et cela fera bientôt 2 semaines que nous nous sommes rencontrées et j’ai encore du mal à écrire, à décrire son histoire. Je veux que tout y soit, que vous compreniez bien. Peut-être est-ce moi, aussi, qui veut bien comprendre.

Annabelle vient d’une famille bien nantie. Son père gagne bien sa vie, et celle de sa famille. Sa mère s’occupe de ses deux filles à la maison. Pourtant, tôt dans sa vie, le silence est roi. On ne parle pas de ce qui ne va pas. On n’encourage pas les enfants à vivre leurs émotions. On ne valide pas les enfants lorsqu’ils ont de la peine. On leur somme d’arrêter. Ils ramènent trop à leur propre souffrance, ingérable, invivable.

Lorsqu’Annabelle commence l’école, elle n’a jamais été en contact avec beaucoup d’enfants. Elle est de nature réservée, aussi; elle ne va pas vraiment vers les autres et ceux-ci font de même. Puis, elle est victime d’intimidation. Elle a du mal à se défendre et elle n’a pas d’amis pour l’aider à le faire. Les enseignants voient mais se taisent. Les élèves aussi. Tout le monde garde toujours le silence, dans la vie d’Annabelle.

Rapidement, sa sœur semble combler les attentes de ses parents à tous les niveaux; c’est une enfant intelligente, sociale, intéressante, divertissante. Annabelle, elle réussit bien à l’école. Mais elle n’a pas d’amis à elle. Elle emprunte celles de sa sœur, lorsqu’elles viennent à la maison. Elle ne dit rien d’extraordinaire et ne consiste pas en le centre d’attention lors des fêtes familiales. Au secondaire, Annabelle se mutile; le visage, les bras. Personne ne dit mot. On fait semblant de ne pas voir les traces laissés par ses ongles sur ses joues.

Annabelle commence le cégep. À ce moment, elle rencontre David (nom fictif). David habite à Montréal avec son père. Il travaille, il a de l’argent. Il la trouve belle, il le lui dit, il le lui fait sentir. Annabelle existe, puisqu’on met des mots sur elle. Enfin. Elle passe son temps avec lui; elle ne fréquente plus le cégep, ne fait plus ses travaux. Elle échoue dans l’ensemble de ses cours et ce, sans en parler à ses parents.

David consomme fréquemment devant elle. De la cocaïne. Après quelques temps, Annabelle est curieuse; elle essaie. Elle devient accro instantanément. Lorsqu’elle ne consomme pas, elle pense au moment où elle le fera. Lorsqu’elle est sur un « high », elle est bien. Elle est engourdie. Elle ne ressent plus la douleur. Lorsqu’elle est en manque, elle a mal; un poing lui serre la poitrine et lui rend la respiration difficile. Toutes ses économies y passent. David contrôle sa consommation; lorsqu’il en a assez d’elle, qui habite maintenant avec lui, il la renvoie chez ses parents quelques jours. Pendant ce moment, Annabelle est en sevrage; elle a mal.

David contrôle aussi son portefeuille, sa vie sociale et sa vie familiale. Annabelle coupe les ponts avec toutes ses amies et les membres de la famille. Outre lorsqu’elle est renvoyée de force chez ses parents, elle ne leur adresse pas la parole, ne répond pas à leur appel et ne ressent pas le besoin de les appeler.

Puis, Annabelle fait un test de grossesse; il lui semble que ça fait un moment qu’elle n’a pas eu ses règles. « À ce moment-là, juste prendre ma pilule à tous les jours était une trop grosse responsabilité pour moi ». Le test est positif. Et il l’aurait été si elle l’avait fait 5 mois plus tôt. Sa mère prend rendez-vous à la clinique pour un avortement; allongée sur la chaise, Annabelle dit à l’infirmière qu’elle est ici pour sa mère. L’infirmière refuse de procéder à l’avortement sans son consentement. Annabelle repart avec son ventre si peu rebondi et sa dépendance à la cocaïne.

Depuis quelques temps, David est violent avec elle. Il la frappe sur les cuisses quand il est en colère; contre elle, contre lui, contre la vie. Il menace fréquemment de la quitter et de la laisser seule au monde. Annabelle se dit que maintenant qu’elle porte son enfant, jamais plus il ne voudra s’en aller.

Annabelle crève ses eaux juste après avoir consommé de la cocaïne . Elle accouche, alors qu’elle encore sous les effets de la drogue absorbée quelques heures auparavant. Les infirmières laissent son bébé naissant quelques secondes à peine sur son ventre avant de le reprendre et de le nettoyer. Il est tout petit; son poids est nettement sous la norme. Les infirmières informent Annabelle qu’il doit rester à l’hôpital quelques jours dans un incubateur.

Trois jours après l’accouchement, son enfant commence à manifester des signes de sevrage; ceci met la puce à l’oreille des infirmières, qui testent son urine. Résultat : positif. Des traces de cocaïne y sont décelées. Le petit d’Annabelle ne peut quitter l’hôpital seul avec elle et un signalement doit être fait à la DPJ, afin de le protéger.

À ce moment, Annabelle comprend la gravité de la situation; elle ne veut pas perdre son fils. Pour rien au monde. Ça, elle l’avait compris à l’accouchement; en voyant ce petit être, elle avait saisi qu’il avait cruellement besoin d’elle et qu’à son tour, elle se devait de répondre à ses besoins. Sa décision était donc prise : terminée, la consommation.

Elle dit qu’elle s’est alors sentie comme une maman lionne, prête à tout pour protéger son fils, pour lui offrir la meilleure vie possible, le meilleur d’elle, surtout. Et le meilleur d’elle est surtout visible lorsqu’elle est sobre. Et depuis le jour de la naissance de son fils, elle l’est, sobre. Et pour rien au monde elle ne s’embrouillerait les esprits comme avant; elle ne veut rien manquer de la vie de son fils, de son développement, de la consolidation de leur relation.

Depuis, Annabelle a eu du soutien de la DPJ; de travailleuses sociales, d’une psychoéducatrice. Puis, d’un organisme relié à la cessation de la consommation. Annabelle est présente à tous ses rendez-vous, elle met en application les stratégies proposées, elle se confie. Puis, elle est suivi au CLSC par une psychologue.

Plus elle se confie, plus ses intervenantes constatent qu’elle ne va pas. Elle est redirigée vers un projet expérimental, constitué d’une équipe multidisciplinaire. On émet alors les hypothèses de phobie sociale, de trouble de la personnalité limite et de dépression sévère qui persiste depuis l’école primaire.

Annabelle en est là; maman monoparentale d’un p’tit coco de 2 ans, habitant chez ses parents qui la somment de ne pas sortir avec le petit en plein jour de peur que les voisins les voient, de retour sur les bancs d’école pour travailler « avec les gens, afin de les aider », en suivi avec sa psychologue. Elle compte déménager dès que son compte bancaire le lui permettra.

Et malgré sa phobie sociale et donc, de sa peur de l’autre, elle a accepté de me rencontrer, à partir d’un message Twitter, pour me raconter sa vie. Elle aurait aimé, elle aussi, lire un témoignage de la sorte alors qu’elle était en pleine noirceur.

À toutes les Annabelle de la Terre, la lumière est là. Peut-être ne la voyez-vous pas encore, mais continuez d’avancer. Vos pas vous mèneront vers le bout du tunnel.

-Stéphanie Deslauriers

Voici la liste des ressources qui ont aidé Annabelle à se sortir de la torpeur :

– Centre Dollard-Cormier 950, rue de Louvain Est

Montréal (Québec) H2M 2E8

(514) 385-1232

-Organisme en Violence Conjugale : Regard En Elle

(450)582-6000 ou 1-888-582-6005

-Programme de Soins Partagés (nécessitant une référence médicale)