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L’intimidation : Prise 8 537

Vous êtes tannés d’en entendre parler, de l’intimidation?

Eh bien moi aussi; je suis tannée d’entendre parler de la démonisation des agresseurs, de la victimisation des victimes. Tannée que l’on propage l’idée que tout est noir ou tout est blanc.

J’en ai assez que l’on croit à tort qu’il ne faille que punir les agresseurs, les suspendre, les faire changer d’école et point à la ligne.

J’en ai assez que l’on croit à tort que les interventions ne devraient cibler que les personnes impliquées dans une situation d’intimidation spécifique.

Faites une recension rapide; même pas besoin d’aller sur les moteurs de recherche universitaires. Allez sur Statistiques Canada, tapez « intimidation » et vous verrez plusieurs articles qui abordent le sujet.

Leur dénominateur commun : les approches punitives sont contre-productives. Tenez, je vous en nomme un autre : les interventions qui ne visent que les personnes impliquées dans une situation d’intimidation sont inefficaces.

Cessons de véhiculer l’idée que les agresseurs sont les gros méchants loups et inspirons-nous des propos d’élèves lorsqu’ils nomment, lors de mes passages dans leurs classes pour que l’on parle de cette réalité, que « les intimidateurs sont malheureux » ou encore, qu’ils « ne vont pas bien ». Pourtant, il me semble entendre un tout autre discours dans les médias.

En effet, les agresseurs souffrent. Ils souffrent de ne pas savoir comment se faire accepter autrement qu’en effrayant les autres. Ils n’ont pas compris la nuance entre « se faire respecter » et « se faire craindre ». Ils ont souvent une très faible estime d’eux-mêmes. Surprenant, vous dites? Autrement, comment se ferait-il qu’ils utiliseraient le dénigrement, l’acharnement, les paroles blessantes, les coups, l’exclusion sociale pour penser qu’ils sont quelqu’un, qu’ils existent tellement fort, parce qu’ils envahissent les pensées de la victime?

Et les témoins aussi, souffrent. Parce qu’ils n’osent pas dénoncer. Parce qu’ils veulent être acceptés par l’agresseur à tout prix. Parce qu’ils ne veulent pas subir, eux aussi, le traitement que l’agresseur réserve à ses victimes. Alors, ils se taisent. Ils se torturent, souvent. N’osent pas en parler, pas même à leurs parents. Parfois, pas même à leurs meilleurs amis; ils ont peur que ces derniers rient d’eux, se moquent, le disent à l’agresseur.

Et les victimes aussi, souffrent. Elles souffraient parfois bien avant que l’intimidation ne commence. Elles souffraient de manquer d’habiletés sociales, de leurs différences. Autrement, pourquoi cela les atteindrait tant, de se faire pointer leurs différences? Pourquoi est-ce que, malgré que je mesurais 5 pieds 6 en 6e année et que je dépassais tout le monde d’une tête et qu’ainsi, j’étais différente, je me faisais accepter? Alors qu’une autre élève de ma classe avait exactement la même taille que moi, sauf qu’elle en souffrait, courbait son dos pour paraitre plus petite et ainsi, se faisait ridiculiser par les autres? Comment se fait-il que je m’affirmais et qu’ainsi, les quelques personnes ayant tenté de me lancer des railleries ont rapidement arrêté alors que pour elle, ce fût incessant pendant plusieurs années? Le besoin des victimes est d’apprendre à s’affirmer. Seulement, pour s’affirmer, il faut se faire confiance. Il faut avoir une estime de soi positive. Que les victimes n’avaient souvent pas bien avant les actes d’intimidation et que ces actes ont évidemment maintenu et aggravé cette faible estime de soi, il va sans dire.

On n’a jamais parlé autant d’intimidation; seulement, où se trouvent les spécialistes? Les psychoéducateurs, les travailleurs sociaux, les psychologues, les éducateurs spécialisés qui travaillent dans les milieux scolaires? Les chercheurs universitaires qui ont développé des programmes de prévention (je pense ici à Pierrette Verlaan, entre autres, qui a développé un programme extraordinaire : « L’agression indirecte, cette violence que l’on ne voit pas »)? Ils sont sur le terrain, en train d’essayer de rétablir les faits, d’intervenir adéquatement, de faire de la prévention.

On a cependant plusieurs personnes de milieux autres qui se prononcent; tant mieux, l’intimidation touche les gens et ces derniers ont envie de s’exprimer à cet effet. Je n’ai aucun problème avec cette démarche. Seulement, là où ça me dérange, c’est lorsque l’on véhicule des faussetés à propos de l’intimidation, lorsque l’on tente de dénigrer les agresseurs; je vous rappelle, ils n’ont pas une estime de soi très élevée, eux non plus. Vous les imaginez, devant leur écran d’ordinateur, en train de visionner un clip tourné par une vedette qu’ils aiment en train de les traiter de « loser »? Pas aidant trop, trop pour l’estime de soi, laissez-moi vous dire.

Et que sait-on, de ces agresseurs? Peut-être vivent-ils de la négligence, de l’abus psychologique, physique, voire sexuel à la maison? Peut-être ont-ils déjà été une victime d’intimidation au primaire et, rendus au secondaire, ils décident que ça ne se passera pas ainsi pour les 5 prochaines années et, maladroitement, ils décident de plutôt tenir le rôle de l’agresseur. Pour se faire respecter, croient-ils. Parce que ça marche, ont-ils pu observer pendant 7 longues années de primaire (oui oui, 7 ans; incluez la maternelle dans votre calcul).

Vous me direz : « Ben là, fais pas aux autres ce que tu ne veux pas te faire faire! ». Ouais. Plus facile à proclamer qu’à faire. Quand tu as appris que dans la vie, si tu ne domines pas, tu es dominé (par tes parents, par exemple et ce, de manière abusive, j’entends), tu tends à recréer ce type de relation. Surtout quand tu es enfant ou ado. Et même parfois quand on est adulte (on peut tous ici prendre un moment pour se regarder aller, dans la vie, et constater qu’on a intégré énormément de choses dans notre enfance et que, dans des contextes différents, on les reproduit à l’âge adulte. J’appelle ça « nos bibittes personnelles »).

Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. La vie n’est que nuance.

L’Homme n’est pas tout bon ou tout mauvais; il a été bon, il l’est encore momentanément, dans certains contextes de sa vie; il est souffrance mais ne sait comment l’exprimer adéquatement; il a besoin de contrôle, parce qu’il sent que sa vie lui échappe totalement. L’Homme souffre parfois de la souffrance des autres, surtout lorsque cette souffrance leur est dirigée en pleine gueule.

Apprenons donc à nos enfants (et quand je dis « nos », je parle des enfants dans un contexte de société…je ne vise pas que les parents, que les éducateurs, que les enseignants…mais tout ceux-là à la fois et même bien plus!) qu’ils sont aimables, en les aimant; qu’ils peuvent réussir, en les encourageant et en les félicitant; qu’ils méritent le respect, en les respectant, en leur apprenant à l’affirmation positive de soi; prévenons, faisons de la promotion des relations saines aux autres, certes, mais à soi-même pour débuter.

Puis, mettons en place des stratégies préventives, qui concernent les enfants dans les écoles, les membres du personnel et les parents. Soyons alertes, ayant l’oeil ouverts, connaissons les stratégies d’intervention adéquates, qui font sentir les victimes en sécurité, qui leur permette de faire des apprentissages aux plans de l’estime de soi et des habiletés sociales; qui font aident les agresseurs à développer de l’empathie, à développer des stratégies autres pour s’affirmer, se “faire respecter”; aux témoins à se résigner, à dénoncer, à ne pas craindre, à faire confiance aux adultes. La lutte contre l’intimidation se doit d’être une action concertée, cohérente, qui vise tout le monde.

Éventuellement, cette mobilisation permettra d’élever des générations dans des valeurs de respect d’autrui et de soi et ainsi, on arrivera peut-être (un peu) à bout de l’intimidation dans les milieux de travail, chez les adultes.

-Stéphanie Deslauriers