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Pas “normale”, mais pas assez “anormale”



Sylvie est une maman comme les autres; elle va travailler tous les matins pour gagner sa vie, pour s’assurer que sa famille ne manque de rien. Elle va faire les courses; elle fait le ménage, le lavage,. L’entretien de la piscine est fait, de même que celui du terrain (Ça c’est Marc!). Elle veut ce qu’il y a de mieux pour ses filles; elle veut que leurs besoins soient répondus et qu’elles soient bien, heureuses. Or, une des filles de Sylvie a des besoins qui sont parfois différents des enfants de son âge, des manières de penser, de voir le monde qui diffèrent aussi. Une de ses filles a un diagnostic de trouble envahissant du développement.

Depuis son plus jeune âge, Samantha, contrairement à la majorité des enfants autistes, regardait les autres dans les yeux; elle riait, elle était curieuse. Elle regardait avec intérêt ce qui se passait autour d’elle. On peut dire que son évolution était « normale », jusqu’à l’âge de trois, quatre ans. En effet,  vers deux ou trois ans, Samantha aime reproduire des scènes de films qu’elle voit à la télévision. Ses parents trouvent ça bien mignon. Puis, ce même intérêt poursuit, à quatre, puis cinq, puis six ans. Oups.

Samantha a aussi commencé à parler plus tard que la moyenne des enfants. Rien d’inquiétant, puisque sa grande sœur aussi, a parlé davantage vers l’âge de quatre ans. Mais jusqu’ici, pas trop d’inquiétudes. « Samantha est comme sa sœur ». Elle fait, tout comme sa grande sœur, des crises lorsque ses parents lui disent « non ».

Lorsque Sylvie se présente à Ste-Justine pour aborder le retard de langage de sa fille avec son pédiatre, on lui dit qu’elle devra attendre environ un an et demi sur la liste d’attente avant de voir une orthophoniste. Puis, lorsqu’elle parle des crises que fait sa fille, on lui dit qu’elle est sans doute trop gâtée et que c’est pour cette raison qu’elle réagit ainsi, lorsqu’elle n’obtient pas ce qu’elle veut. Exactement, immédiatement.

Encore ici, Sylvie n’est pas trop inquiète; le pédiatre l’a rassuré, sa fille fonctionne bien sur plusieurs plans, notamment en termes de motricité globale. C’est-à-dire qu’elle marche normalement, court normalement, grimpe, normalement. Par contre, elle n’est pas capable d’attraper les ballons. Elle n’a pas l’esprit d’un catcher de baseball, c’est tout.

Puis, Samantha entame sa prématernelle dans un CPE. La directrice de l’endroit rencontre la maman deux semaines après l’arrivée de sa fille pour lui parler de « quelque chose qui l’intrigue ». Malgré que Sylvie croie que sa fille est dysphasique et a un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), la directrice la met sur une autre piste, tout doucement, gentiment, tranquillement. Pour ne pas la brusquer. Une évaluation en psychologie lui est donc suggérée. Juste pour voir. Juste pour savoir pourquoi elle est en retard sur les autres enfants de son âge et comprendre. Puis, elle lui dit que c’est peut-être un TED. « Un quoi? » Un trouble envahissant du développement. « Wow…qu’est-ce que c’est? ». La directrice lui explique, qu’il s’agit d’altération au plan social, de la communication et des intérêts. Que c’est dans la lignée de l’autisme. Pouf. Uppercut. En pleine gueule. « Mais non, le pédiatre m’a dit que ce n’est pas de l’autisme; on perdra pas notre temps à chercher de ce côté-là ». Et la directrice de lui répondre, gentiment, doucement, sur la pointe des pieds, avec des beaux gants blancs de velours, tous doux, et des belles pincettes en or que Samantha a besoin de plus de soins pour les apprentissages. Ainsi, si elle veut recevoir des subventions gouvernementales pour avoir une accompagnatrice, il faut faire une évaluation. « Ok ». Sylvie doit remplir un formulaire de consentement. Un document sur lequel est inscrit « Enfant handicapé ». Re pouf. Re uppercut. « Ne paniquez pas avec ça », de dire la directrice. Ah oui, il faudra également prévoir une médication pour l’hyperactivité car les apprentissages de Samantha sont menacés… une autre claque! « Droguée mon enfant? Jamais! ». Cependant, il faut se rendre à l’évidence : Samantha n’apprend plus. « OK, on essaie  pour une semaine. Si ça ne fonctionne pas, on arrête la médication ». Ça a marché; elle a débloqué et s’est mise à apprendre! « Mais c’est tellement dur à faire pour une maman! Le sentiment de culpabilité que je ressentais, en écrasant le Ritalin dans la purée de pomme du matin… ».

Maman, à défaut d’avoir un plan A, de savoir à quoi s’en tenir, d’être dans l’incertitude, dans le néant, dans l’inconnu, a besoin d’avoir un plan B. Elle appelle l’orthophoniste de sa plus grande fille (qui avait aussi un retard au niveau du langage, vous vous rappelez?). Celle-ci met de la pression au centre de développement de l’hôpital Ste-Justine, pour qu’elle n’ait pas à attendre encore deux ans. Ainsi, Sylvie est rencontrée par l’équipe multidisciplinaire (un pédiatre spécialisé en développement, une orthophoniste, une psychologue, travailleuse sociale, alouette), qui évalue sa fille.

Deux heures plus tard, bingo : diagnostics de TED et de trouble syntaxique du langage. Sylvie déplore le peu de soutien, le manque de suivi après l’annonce du diagnostic : « on te garroche ça en pleine face et tu dois te débrouiller ». On lui dit de faire une référence au système de son quartier. Mais Sylvie ne veut pas; elle veut des services de Ste-Justine. Elle réussit, à force de mots, à obtenir huit rencontres avec une psychoéducatrice. Elle lui montre comment apprivoiser la différence de sa fille, comment construire des scénarios sociaux, entre autres. Puis, elle obtient six séances d’orthophonie. Seulement six. Alors que la petite, elle a un trouble sévère du langage. Sylvie fait un deal avec l’orthophoniste : tu te rends disponible pour rencontrer ma fille à plusieurs reprises et je t’autorise à filmer une rencontre avec elle aux fins de formations que tu dispenses aux nouvelles orthophonistes. Deal.

Puis, maman s’implique au sein du conseil d’administration du CPE qui fréquente sa fille pour avoir un œil sur ce qui se passe. Puis, l’âge de la rentrée en maternelle approche. Elle a deux options : une classe régulière, avec des enfants réguliers et une prof régulière ou une classe spécialisée, où une enseignante et une éducatrice spécialisée veillent au développement des huit enfants de la classe. Sylvie n’est pas rendue là, dans ce processus de deuil. Par « là », j’entends l’acceptation ou du moins, faire avec. Elle va visiter les classes régulières.

Ensuite, Samantha va passer une demi-journée avec maman dans sa classe. Le personnel de l’école a été informé de la réalité de la petite. La prof n’est pas formée mais maudit qu’elle veut. Elle demande aux amis de suivre les pas qui sont dessinés par terre. Tout le monde s’exécute, sauf Samantha. Elle ne comprend pas. Elle regarde maman. C’est tout. Sylvie comprend que quelque chose ne va pas. Elle n’a pas un bon « feeling ». Puis, une autre fois, Samantha prend un dinosaure dans la classe. Elle le trouve beau. Elle le ramène à la maison, dans son sac d’école. Quand maman voit ça, elle ne comprend pas. Elle parle à la prof qui la réfère au psychoéducateur de l’école qui, pour la rassurer, lui répond : « Ce n’est pas grave, elle peut le prendre; je ne veux pas avoir à gérer des crises inutiles tout le temps. Vous n’avez qu’à nous rapporter ce qu’elle prend quand elle l’aura oublié ». Wôw. Ça ne fonctionne pas comme ça.

Puis, voyant qu’elle se ferait probablement appeler tous les cinq minutes pour se faire dire que « Samantha est en crise, on ne sait pas quoi faire », « Samantha est dans le corridor et elle ne veut pas rentrer dans la classe », « Samantha n’écoute pas », Sylvie réalise qu’effectivement, ça ne fonctionne pas comme ça. Sylvie se résigne à aller visiter une classe spécialisée, « en braillant » de peur que sa « fille ne joue qu’avec des nouilles ». La prof de cette classe voit Samantha, s’accroupie à sa hauteur, la regarde dans les yeux et lui dit : « Bonjour Samantha, je vais être ton enseignante ». Ok. Là, ça peut fonctionner. La pression tombe, car elle sait que tout ne dépendra pas que d’elle. Elle peut compter sur un personnel enseignant qui sait ce qu’il fait et peut faire avancer sa fille au niveau académique.

Avec du recul, Sylvie constate que l’évaluation de sa fille a été biaisée depuis le début, puisqu’elle n’était pas une « autiste intense ». Ça parait moins. Ça parait mieux. Ça parait normal. Sauf que, ça a fait en sorte que la petite n’a pas bénéficié de stimulation précoce. Mais, maudit que Sylvie est chanceuse d’être tombée sur un bon CPE, avec une bonne directrice qui a su voir plus loin que le bout de son nez.

À suivre…

-Stéphanie Deslauriers