Blogue

Envers et contre tous

Il y a quelque temps déjà, je vous sollicitais pour me référer différents individus ayant vécu (ou vivant toujours) différentes réalités, afin que je puisse entrer en contact avec ces mêmes individus  et ainsi sonder cette dite réalité. Une ancienne collègue de l’Université de Montréal m’a parlé de son amoureux, qui est dans l’engrenage de l’obtention d’un diagnostic de TDAH. Elle m’a parlé de lui, du fait qu’il est confronté à plusieurs frustrations, incompréhensions, délais et parfois même, à un manque de sensibilité de la part des professionnels du domaine de la santé et des services sociaux. Son copain a généreusement accepté que moi, inconnue, je le contacte pour que nous puissions parler de ces frustrations, incompréhensions, délais et manque de sensibilité. Nous en avons parlé, oui. Mais nous avons surtout parlé du chemin parcouru depuis des années par ce jeune homme mexicain, immigré depuis 8 ans au Québec.

Aldo vient de Mexico, d’une famille bien nantie; un père qui travaille fort, qui a sa compagnie et qui vit donc beaucoup de pression et de stress. Une mère qui le surprotège et un petit frère pour qui il se doit d’être un modèle. Depuis son enfance, ses enseignants et sa mère constataient qu’Aldo n’était pas très attentif. Il était un enfant qui faisait des mauvais coups, qui était un peu tête en l’air, ce qui fait en sorte qu’il tombait souvent ou se blessait. Il était aussi considéré comme étant impulsif. Vers l’âge de 3 ans, il avait même consulté un neurologue en raison de convulsions. À partir de l’âge de 5 ans et ce, jusqu’à l’âge de 9 ans, Aldo a pris de la médication à cet effet. Constatant que le problème n’était pas de nature épileptique, il a du arrêter de la prendre.

À 14 ans, soit en secondaire 2, l’adolescent se voit assister à ses cours avec 49 autres étudiants, alors que sa classe n’était composée que d’une quinzaine d’élèves l’année précédente. Aldo vit difficilement cette transition, il coule certaines matières scolaires, il vit énormément de conflits avec les autres ados, il éprouve des difficultés de socialisation. Aldo est encore perçu comme ayant des difficultés d’attention et d’impulsivité, qui sont dues à des carences au plan des connexions neurologiques. Il voit alors une psychologue cognitive-comportementale, de qui il garde d’excellents souvenirs. Il constate aujourd’hui encore, 11 ans plus tard, tout ce que lui a apporté cette thérapie.

Puis, à l’âge de 17 ans, alors qu’il a terminé son secondaire 5, qu’il se fait offrir une bourse pour jouer au basketball l’année scolaire suivant, qu’il a son groupe d’amis, son père décide que la famille déménagent au Canada. Parce qu’il n’en peut plus de la pression et du stress de son emploi; parce qu’il y a danger qu’il développe des problèmes cardiaques. Aldo voit ses rêves s’envoler en fumée. La maison familiale est vendue et la famille déménage temporairement chez la grand-mère, qui habite à l’extérieur de la ville, loin des amis de son petit-fils. Diagnostic : dépression majeure. Le jeune homme prend alors des antidépresseurs, prescrits par un psychiatre au privé (tout comme les autres spécialistes vus antérieurement. Le système de santé public là-bas serait donc plus lent qu’ici?! Nous ne sommes donc pas les seuls insatisfaits et nous oublions souvent de nous comparer pour réaliser que…ce n’est pas si mal, en fin de compte).

Puis, son père déménage à Montréal pour se trouver un emploi et un logement. Deux mois plus tard, sa femme et ses deux fils viennent le rejoindre. Aldo fait sa première année de scolarisation au Québec dans une classe d’accueil, afin d’apprendre le français. Il y rencontre des amis, qui vivent les mêmes bouleversements que lui, les mêmes appréhensions, les mêmes craintes. Ces rencontres coïncident avec l’arrêt de la prise de ses antidépresseurs. Aldo va bien.

Puis, il fait un deuxième secondaire 5 afin d’avoir les acquis nécessaires pour se diriger vers le cégep. Il étudie en sciences pures, puisqu’il se faisait dire par ses enseignants qu’il avait du talent dans cette discipline. Du haut de sa toute nouvelle majorité et de sa toute nouvelle immigration, il aime se faire dire qu’il est bon dans quelque chose, même s’il n’aime pas ce quelque chose. Or, son désintérêt pour ces matières scientifiques se fait sentir; il n’obtient pas les notes de passage dans ses cours. Il se redirige donc en sciences humaines. Lorsqu’il termine son cégep en 2007, il fait une année en économie, pour ensuite faire sa demande en administration, dans le but de pouvoir aider son père avec la compagnie qu’il dirige depuis quelques années. Sa copine, poursuivant ses études à Trois-Rivières, il la suit pour aller vivre avec elle. Il réalise que cette transition est difficile pour lui; beaucoup d’éléments ne sont pas encadrées dans sa vie. Il doit apprendre à s’organiser au plan académique, en plus de travailler de la maison et de s’adapter à sa nouvelle vie en appartement, de façon autonome. Comme il me le mentionnait, la plupart de ses amis mexicains vivent toujours avec leurs parents; ils déménageront lorsqu’ils se marieront, autour de la trentaine.

Aldo dit s’être senti incomplet, à ce moment de sa vie. Il mentionne aussi avoir ressenti un sentiment d’échec.

Sa copine l’a mis sur la piste d’un TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité). En raison des difficultés rencontrées lorsqu’il était plus jeune, mais aussi en raison de ses difficultés d’organisation, tant dans ses travaux universitaires que dans son emploi, à l’âge adulte. Des amis lui ont mentionné des ressources où il pouvait s’informer à cet effet. Il appelle d’abord  au CLSC afin d’être référé dans une clinique spécialisée en TDAH. La travailleuse sociale du CLSC lui dit d’aller voir son médecin de famille. Comme Aldo n’en a pas, il demande s’il peut consulter un médecin à l’urgence en ayant été au préalable rencontré une psychologue. Il se faire répondre qu’il doit passer par un psychiatre mais que pour en rencontrer un, il doit avoir une référence de son médecin de famille (qu’il n’a pas). Il se sent donc pris au piège, dans une impasse, où il ne sait pas à qui demander de l’aide. Puis, il s’informe à l’Université auprès de la psychologue qui le réfère à un neuropsychologue (vous me suivez toujours?). Cette dernière ne veut pas le rencontrer; elle préfère qu’il aille consulter au CLSC en premier lieu. Aldo sent donc que le lance d’un côté, puis de l’autre et de l’autre encore. Il a le sentiment que la neuropsychologue ne veut pas le recevoir. Il rappelle alors la psychologue de l’Université, qui rappelle la neurologue, qui rappelle Aldo pour lui fixer rendez-vous, en lui mentionnant qu’elle voulait lui éviter des frais et que c’est pour cette raison qu’elle l’a référé au CLSC. Puis, il rencontre enfin ladite neuropsychologue. Qui lui dit qu’il ne semble pas hyperactif, puisqu’il est en mesure de rester immobile et de la regarder dans les yeux quand il lui parle. Il sent qu’il se bat contre une grosse machine qui ne semble pas en mesure de saisir ses besoins, de le prendre au sérieux. Car après tout, le TDAH, c’est pour les enfants, non? C’est ainsi que se sent Aldo.

Mais Aldo, il a du mal à s’organiser. S’il réussit bien, c’est qu’il a appris à gérer ses symptômes. C’est qu’il a une bonne mémoire et une volonté de fer. Aldo, il a du mal à dormir ou encore, du mal à être éveillé, à d’autres moments. Il a parfois du mal à s’endormir, parce que trop de choses passent dans sa tête, par là, comme ça, sans que son cerveau ne puisse s’éteindre.

Non, le TDAH, ce n’est pas juste pour les enfants. L’enfant qui a des interférences ou des carences dans ses connexions neurologiques peut continuer de les avoir des années plus tard. Oui, il est extrêmement difficile d’obtenir un diagnostic tardif. Parce que oui, à cet âge, les adultes ont développé des stratégies pour apprendre à vivre avec leurs symptômes, leurs difficultés. Je te souhaite, Aldo, de pouvoir le recevoir, ton diagnostic. Je te souhaite de pouvoir l’avoir, l’aide médical et/ou psychologique dont tu as besoin à cet effet. Pour certains, s’avouer qu’il y a quelque chose qui cloche chez nous, ou bien chez notre enfant, chez notre frère, chez notre mère ou notre père, n’est pas chose facile. Pour d’autres, qui ont bravé les préjugés d’autrui mais surtout, les siens, se faire entendre par le système de santé et de services sociaux est l’obstacle suprême. Comme quoi une personne qui nie ses difficultés et se fait confronter par un spécialiste a plus de probabilités de se faire traiter qu’une personne qui va de l’avant et déballe son sac à ce même spécialiste? J’avoue que je suis confuse…

-Stéphanie Deslauriers